Sauvons les banques, pas le climat !

C’est ainsi qu’aurait pu s’intituler la publication de l’Association Suisse des Banquiers et du Boston Consulting Group, parue le 19 août 2021. Son vrai titre est riche en promesses : « Finance durable-Besoins en investissement et financement pour la neutralité́ climatique de la Suisse d’ici 2050 » ou comment « l’économie réelle et l’économie financière vont coopérer pour atteindre l’objectif net zéro en 2050 ». S’il est une chose qui soit bien réelle, en effet, c’est l’urgence environnementale.

Le réchauffement de la planète est causée par l’homme

Dans son dernier rapport (AR6) le GIEC réitère qu’il ne fait plus aucun doute que le réchauffement de la planète est causé par l’homme, mais aussi qu’il demeure possible le contenir deçà de 1.5C° à la fin du siècle, à condition de transformer radicalement tous les domaines de nos sociétés. Il y a tout juste deux ans, l’IPBES publiait le glaçant constat que la sixième extinction de masse, ou extermination du monde vivant, était en cours, et que l’homme en était là aussi la cause. La communauté scientifique est unanime : l’inversion de ces tendances revêt un caractère impératif si l’on entend éviter la souffrance et la mort de millions d’êtres humains et non humains, voire la disparition pure et simple de la civilisation telle que nous la connaissons. On ne saurait donc que se réjouir que les têtes pensantes de la finance, secteur clé tant par son poids économique que climatique, aient pris conscience qu’elles ont un rôle de premier rang à jouer pour relever le plus grand défi de l’humanité.

Des investissements durables ?

Quelle déception ! Cette étude s’apparente hélas à un énième exercice de greenwashing, visant la parfaite continuité du business as usual, édulcoré de quelques mesures technologiques et dépourvu de toute remise en question de nos modes de vie. Après nous avoir fait miroiter du rêve avec les « investissements durables » qui peuvent être critiquables sur plusieurs points, voilà que l’on nous présente une vision aberrante des financements requis pour une Suisse neutre en carbone. Rapide parenthèse sur les dits investissements durables : non seulement ils n’ont aucunement contribué à l’atteinte des objectifs globaux de réduction des émissions et ils sont même dangereux car ils nous bercent dans l’illusion que notre épargne est « bien » investie et nous pouvons donc dormir tranquilles. Les stratégies d’exclusion sont inutiles car la vente d’une action va être achetée par un autre investisseur et il s’agit donc d’un jeu à somme nulle. La stratégie la plus utile serait d’être actif et d’aller demander des comptes aux assemblées générales pour changer les CEO et pousser les conseils d’administrations à rendre des comptes, comme cela a été le cas pour EXXon Mobile récemment. Cependant combien de nos banques jouent ce rôle lorsque nous plaçons notre épargne. Parenthèse fermée, revenons à nos financements.

Une neutralité climatique en vue pour la Suisse ?

Les auteurs ratent complètement leur cible en ne tenant compte dans le périmètre de l’étude que des gaz effet de serre (GES) émis en Suisse. Sont donc exclues : les émissions des entreprises financées par des banques suisses mais dont le siège est à l’étranger, les émissions générées à l’étranger par des entreprises suisses, ainsi que les émissions liées aux importations. Ainsi, la définition proposée de « la neutralité́ climatique de la Suisse » est soit d’une totale naïveté, soit un exercice de communication mal ficelé. En se focalisant exclusivement sur les émissions domestiques, l’étude ne couvre qu’un vingtième de l’ensemble des GES imputables à la Suisse ! On prétend donc répondre à l’urgence d’un problème dont on élude 95% de l’ampleur. Pire, l’essentiel des mesures proposées pour « réduire » les émissions n’est en réalité que l’exportation de ces dernières ; ou comment cacher la poussière sous le tapis. Sur les 387.2 milliards de CHF que les auteurs estiment devoir être investis au cours des 30 prochaines années, 228 milliards de CHF (soit 60%), seraient alloués aux transports individuels et de marchandises dont… plus de 90% seraient dédiés à l’électrification du parc automobile et poids lourds et moins de 10% au transfert modal. Les auteurs s’abstiennent de toute proposition visant à favoriser la mobilité active, ou à redessiner les infrastructures de sorte à réduire la part du transport motorisé dans les villes. Les élites de la finance postulent donc qu’en troquant chaque SUV thermique pour son pendant électrique, le problème sera réglé, sans même tenir compte de l’augmentation de la demande en électricité qui en découlerait et de l’effet rebond sur une capacité de production déjà proche de la saturation. C’est dire à quel point elles sont visionnaires ! Donnons-leur crédit cependant, d’avancer des propositions concrètes dans le domaine du bâtiment et de l’efficience énergétique.

Nous avons besoin de mesures concrètes

Soyons un peu sérieux, le temps n’est plus aux demi-mesures dont on nous abreuve depuis des décennies. Cessons de nous bercer dans l’illusion que les seules solutions technologiques vont permettre d’infléchir la tendance. Nous avons besoin d’une refonte en profondeur de nos modes de vie qui touche tous les secteurs de la société : mobilité, logement, agriculture, alimentation, éducation et formation.

Il est grand temps que le monde de la finance se réveille et se donne les moyens de concevoir une société sobre, dans laquelle les activités incompatibles avec la crise environnementale (vols low cost, voitures de 1.5 tonnes avec un unique passager, alimentation carnée, etc.) laisseront la place à des activités régénératives, non extractives et non mortifères. Les nombreuses entreprises à impact qui fleurissent en sont d’excellents exemples. C’est le devoir du secteur financier que de les soutenir, mais aussi d’investir massivement dans la reconversion des métiers d’hier vers ceux dont nous aurons besoin demain. Cette prise de conscience des acteurs financiers doit s’accompagner d’un cadre étatique strict et d’un leadership décomplexé de nos gouvernements qui se doivent de déclarer l’urgence environnementale comme l’ont fait tant de nos voisins, mais aussi d’une réelle mobilisation citoyenne.

La Suisse va-t-elle vraiment devenir la plaque tournante de la finance durable ? Si elle met tout en œuvre pour sauver le climat et pas uniquement ses banquiers, peut-être.

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