Comment garantir le respect des droits humains dans votre organisation ?

Contexte : engagements internationaux et mondialisation

L’Agenda 2030 adopté par les états membres de l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) en 2015 se donne pour mission de « réaliser les droits de l’Homme pour tous ». Ainsi, les 17 Objectifs de Développement Durables tendent vers un monde où les droits humains sont respectés et appliqués universellement, c’est-à-dire pour tous les individus sur Terre.

Au cours des dernières décennies, la mondialisation a poussé de nombreuses entreprises à répartir leur chaine de valeur sur plusieurs pays et à ouvrir des filiales à l’étranger, ce qui complexifie la mise en place d’une stratégie globale au niveau des droits humains sur tous les niveaux de la chaîne de valeur d’une organisation. Comment dès lors s’assurer du respect de ces droits?

Qu’est-ce que l’on entend par droits humains ?

Les droits humains, aussi communément appelés droits de l’homme, sont les « droits inaliénables de tous les êtres humains, sans distinction aucune, notamment de race, de sexe, de nationalité, d’origine ethnique, de langue, de religion ou de toute autre situation » selon l’ONU. Ces droits impliquent que personne ne sera tenu en esclavage ou soumis à la torture, et que chacun et chacune possède le droit à la vie, la liberté d’expression, le droit au travail, à l’éduction, etc. Tous les individus ont le droit d’exercer leurs droits humains sur un pied d’égalité et sans discrimination.

Dans le droit international relatif à ce sujet, il est déclaré que les États ont une obligation de protéger les droits et libertés des personnes et groupes de personnes. Cependant, la situation en suisse est bien loin d’être satisfaisante sur le plan des droits fondamentaux. De nombreuses organisations humanitaires de défense des droits humains œuvrent sans relâche contre les discriminations et pour la protection des libertés fondamentales des minorités.

Des entreprises suisses épinglées pour abus

Corruption, blanchiment d’argent, travail des enfants, menace pour la santé des travailleurs et travailleuses, … La situation en matière de responsabilité des multinationales ne s’est pas améliorée depuis notre dernier article sur le sujet. Des cas de violation des droits humains et des normes environnementales sont régulièrement rendus publics en Suisse. Le refus de l’initiative pour des entreprises responsable en 2020 pourrait faire de nous le seul pays d’Europe sans loi sur la responsabilité des entreprises d’ici quelques années[1].

Exemples de violation des droits humains :

  • Travail des enfants et travail forcé dans les plantations de palmiers à huile en Indonésie, qui appartiennent au premier producteur mondial d’huile de palme, l’entreprise agroalimentaire Wilmar. Dans les multinationales concernées, on peut citer Kellogg’s, Nestlé, Unilever et Procter & Gamble.
  • Pollution de pétrole dans le delta du Niger par Shell, causant des dommages irréparables à l’environnement et menaçant les populations locales.
  • Glencore provoque des pollutions environnementales au Congo et en Colombie dans l’exploitation de mines de charbon, de cuivre et de cobalt. En Zambie, l’entreprise pollue l’air avec du dioxyde de soufre autour d’une mine de cuivre, un gaz provoquant de graves maladies allant jusqu’à la mort.

Le comité « Appel pour la responsabilité des entreprises au niveau international » demande qu’une loi sur le sujet soit adoptée le plus vite possible en Suisse afin de s’aligner avec les directives européennes. 

En effet, l’approbation de la CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) en Europe en avril dernier impose aux entreprises d’une certaine taille un devoir de vigilance quant au respect des droits humains et de l’environnement sur l’entièreté de leur chaîne de valeur, avec un devoir d’identifier et de réduire les incidences négatives. Cela implique que les entreprises suisses qui font partie de la chaîne de valeur d’une grande entreprise de l’UE, y compris les PME, vont devoir rendre des comptes et montrer les mesures implémentées pour empêcher les violations de droits fondamentaux dans le cadre de leurs activités.

Faire respecter les droits humains dans sa chaîne de valeur

Comment faire preuve de diligence sur le respect des droits humains sur sa chaîne de valeur ? Les entreprises, en particulier celles qui opèrent à l’échelle mondiale, vont se retrouver confrontées à ce défi. Le service de consulting zurichois Focusright, en partenariat avec la Confédération suisse et le Global Compact, a mis sur pied un guide pratique pour les PME. Ils identifient six étapes clé de la diligence raisonnable en matière des droits de l’Homme.

  1. Déclaration de principe
  2. Analyse des risques
  3. Mesures
  4. Intégration
  5. Suivi et communication
  6. Réclamation & voies de recours

1. Publier une déclaration de principe sur le respect des droits humains

La déclaration de principe est une communication publique de la part de l’entreprise sur ses engagements envers les droits humains. Signée par la direction de l’entreprise, la déclaration doit présenter les pratiques de celle-ci en termes de droits humains et ses attentes envers ses employées, employés et partenaires commerciaux. Elle se doit de couvrir les thèmes pertinents pour l’entreprise, et devrait idéalement impliquer les parties prenantes concernées dans son élaboration.

Elle peut prendre plusieurs formes, comme par exemple s’intégrer dans la charte éthique de l’entreprise. Dans tous les cas il est important que cette déclaration s’applique à toute la chaîne de valeur de l’entreprise et soit approuvée par le management. Elle doit également se référer aux normes internationales en la matière et être révisée périodiquement par des personnes possédant une certaine expertise du sujet (idéalement il faudrait des expert.e.s internes et expertes à l’entreprise pour avoir une perspective globale).

Finalement, il est capital de communiquer la déclaration de principe aux parties prenantes directement et indirectement concernées le long de la chaîne de valeur. Sa mise en œuvre doit être clairement définie (attribution des responsabilités – qui fait quoi). L’entreprise doit identifier s’il y a besoin de sensibiliser ou former des parties prenantes sur certaines thématiques afin de s’assurer que chacun et chacune soit en mesure de comprendre et s’aligner avec la déclaration de principe.

2. Analyse des risques

Le second point important touche aux risques et impacts sur les droits humains liés aux activités de l’entreprise. Afin de pouvoir anticiper et gérer efficacement les risques pour l’organisation, il est important de les identifier et de les mesurer.

La matrice de double matérialité est un outil très pertinent pour cartographier les impacts de l’entreprise. Elle permet de rassembler à la fois les risques liés aux droits humains sur la valorisation financière de l’entreprise (matérialité financière) et les impacts de l’entreprise sur ces différents sous-thèmes des droits humains (matérialité d’impact). En collaboration avec les parties prenantes, ces risques peuvent ensuite être hiérarchisés et illustrés sur une grande matrice. Vous trouverez des informations plus détaillées sur la matrice de double matérialité dans notre article sur la rédaction d’un rapport d’impact.

Les éléments essentiels à retenir pour cette section sont : prendre en compte tous les droits humains pertinents compris dans les normes internationales, analyser l’impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur et sur l’ensemble des personnes qui peuvent être affectées, déterminer quelles incidences sont les plus graves et prioriser celles-ci, faire appel à des spécialistes du sujet pour vous aider dans cette démarche.

3. Mesures

Une fois les risques et impacts identifiées et cartographiés le long de la chaîne de valeur, comment mettre en place des mesures d’atténuation ou de prévention ?

Le guide de l’OCDE en matière de diligence raisonnable suggère de regarder d’abord de quelle nature est l’impact : est-il directement lié aux activités de l’entreprise ? Est-ce un risque ou impact auquel l’entreprise a contribué ? Les réponses vont déterminer le type de mesure à mettre en place : cesser le comportement qui contribue à l’impact, réparer dans la mesure du possible l’impact négatif causé, faire usage de son influence auprès de certaines entités pour atténuer ces impacts, etc.

Il faut donc également tenir compte de l’implication de l’entreprise par rapport à l’impact identifié, et de son pouvoir d’influence dans cette situation.

4. Intégration

Afin de favoriser une vision à long terme respectueuse des droits humains et dans une logique d’amélioration continue, il est important d’intégrer de manière cohérente une structure à l’interne qui a la charge de tracer et faire respecter ces droits. Le fonctionnement interne et la stratégie à long terme de l’organisation doivent absolument considérer et comprendre les risques liés aux droits humains.

Le processus d’intégration doit donc déterminer des responsabilités, une sensibilisation, et un dialogue entre les différents acteurs de la chaîne de valeur et les parties prenantes afin de s’assurer d’une bonne intégration des droits humains dans l’ADN de l’organisation et de pouvoir réduire les risques et les impacts négatifs liés à ces aspects.

5. Suivi et communication

Pour continuer dans le processus d’amélioration continue, il est important d’instaurer un suivi des mesures afin d’analyser ce qui fonctionne, ce qui est moins efficace, là où il faut allouer plus ou moins de ressources, etc. Il est donc important de pouvoir surveiller et analyser l’effet des mesures implémentées au fil de temps.

Pour garantir un suivi efficace, il faut disposer d’indicateurs pertinents (qualitatifs et/ou quantitatifs), impliquer les personnes concernées et de ne pas hésiter à faire appel à des sources externes (consultant.e.s, expert.e.s) pour apporter un autre regard. Les procédures de vérification existantes doivent intégrer le contrôle de l’efficacité (audits, enquêtes externes ou internes, etc.).

Du côté de la communication, nous recommandons de faire preuve de transparence, y compris sur ses impacts négatifs et sur les mesures mises en place pour les réduire. La transparence doit se faire vis-à-vis des parties prenantes, mais également de la société civile dans la mesure du possible.

6. Réclamation et voies de recours

Les réclamations et voies de recours permettent aux entreprises d’identifier les conflits ou incidences négatives et d’y faire face, ainsi que de permettre aux personnes concernées de demander réparation. Il est donc important d’avoir des procédures en place pour améliorer la gestion efficace de ces incidences négatives et pour instaurer un climat de confiance au sein de l’organisation. Cela demande de former des personnes sur le sujet et d’appliquer des mécanismes accessibles et transparents pour ces cas de figure.

Pour conclure

Toute entreprise, peu importe sa taille et son chiffre d’affaires, est responsable de faire respecter les droits humains le long de sa chaîne de valeur. Cependant, la complexité de certaines organisations ou le manque d’informations spécifiques peut compliquer la mise en place de mécanismes efficaces afin d’identifier, de comprendre, d’analyser et d’œuvrer en faveur des droits humains. 

Le contexte est propice à de telles démarches avec l’acceptation de la CS3D en Europe ainsi que les pressions de la communauté internationale et locale pour une plus grande responsabilité des entreprises. Il y a fort à parier que les entreprises, y compris les PME, vont devoir prendre des mesures en matière de droits humains dans les prochaines années. C’est pourquoi les entreprises doivent s’informer dès à présent sur les meilleures pratiques à appliquer et mettre en place des mécanismes de défense des droits humains au plus vite.

Les actions principales à mettre en œuvre sont les suivantes : la publication d’une déclaration de principe sur le respect des droits humains, la prévention des violations de ces droits grâce à une analyse de risque et à un examen de diligence, la réduction des incidences négatives sur les droits humains, et l’accès à une réparation pour les personnes concernées.

Nous espérons que cet article, basé sur le guide pratique de la Confédération, offre une bonne introduction sur les démarches à entreprendre pour les PME suisses.

Pour aller plus loin

Voici des ressources pour aller plus loin sur le sujet :


[1] Selon le comité « Appel pour la responsabilité des entreprises au niveau international », juin 2024