Ouvrage Collectif : Tumulte post-corona

Tumulte postcorona. Les crises, en sortir et bifurquer invite à la lecture de points de vue d’aujourd’hui, parfois enrichis par des textes d’hier, qui se fondent sur des expériences, des savoirs et de formidables constances dans les engagements. Éloquences percutantes et néanmoins savoureuses pour ce titre de rentrée qui sera présenté au Livre sur les quais, à Morges (4-6 septembre).

«Il fallait faire sortir au grand jour toutes les réflexions, les analyses, mais aussi les textes littéraires ou poétiques que la crise avait suscités», racontent Anne-Catherine Menétrey-Savary, Luc Recordon et Raphaël Mahaim, préfaciers et meneurs du projet Tumulte postcorona.

En effet, la coordination de ce livre collectif a été menée tambour battant. Il importait de réagir avant le présumé retour à la normale du système politico-économique, de ne pas laisser s’amollir les impressions vécues durant les semaines de fermeture et de brandir les idées de changement forgées en amont, mais qui devraient s’imposer.

Les femmes et les hommes sollicités – il aurait pu y en avoir davantage, mais cela aurait frisé l’hubris – ont joué le jeu. Politiciennes et politiciens, universitaires, journalistes… ont fourni des papiers costauds qui fourmillent de données, de pensées et de propositions. Au final, quarante-sept textes sont regroupés. 

Ce recueil se lit dans l’ordre éditorial ou dans celui que l’on voudra. «Les idées, comme le rappelle Pierre-Yves Maillard, aident à mobiliser les gens, mais elles ont la couleur des intérêts de celles et de ceux qui les produisent. Si on ne mélange pas les gens, on ne brasse pas non plus les idées.»

Brassée d’idées

Que l’on soit proche de la force du «parti poétique» à la façon de Christophe Gallaz qui suggère si justement que «nous aimons follement nos crimes», curieux de voir l’humain et la citoyenneté internationale derrière les chiffres de la crise expliqués par Yvette Jaggi, interpellé par l’indépendant Guillaume Morand, dit Toto, frappé de covido-vert(u), ou fasciné par les éclairages sur le «biocide global» du prix Nobel de chimie 2017, Jacques Dubochet, peu importe. L’ensemble de ces textes est salutaire.

Sept thématiques s’entrecroisent, mais elles sont orchestrées en chapitres: institutions politiques, lien social, économie, agriculture, santé, international, transition écologique, avant les articles conclusifs – ou d’ouverture vers la suite – sur les lendemains de crise et la réinvention du temps.

La solidarité, l’aide humanitaire et le revenu de base inconditionnel ont suscité des prises de position face à une visibilisation accrue de la pauvreté et des inégalités qui ne datent bien sûr pas de Covid-19. Le virus opère comme un «brusque rappel à la réalité des plus démunis», constate Jean Christophe Schwaab.

Alors des changements s’imposent, contre la «religion néolibérale» évoquée par Jean-Pierre Ghelfi qui, sur la base d’une analyse économique, en appelle à la mobilisation politique. Quand ce n’est l’indispensable décroissance qui est abordée par Yvan Luccarini et permet d’ouvrir le débat vers la nécessité de cultiver et de nourrir autrement les humains. Ce qui, sans doute, est une cruciale question de santé publique.

Urgence au-delà de l’urgence

Cette dernière implique autant des décisions que des actions, pour un système solide et juste, que Luc Recordon envisage clairement «au-delà d’applaudir quand on est anxieux». S’il y a eu l’urgence «de l’ambulance», il y a aussi celle du climat, insiste Jean Martin. «Il faut des changements de fond au-delà de la santé», la surconsommation étant coupable au premier titre. 

Sophie Swaton expose ainsi les apports du revenu de transition écologique permettant d’encourager de nouveau types d’activités. Et Lisa Mazzone de revenir sur les «près de 20 %» représentés par l’aviation sur «la facture climatique helvétique». Le secteur aérien doit réduire en fonction, notamment, de «la pertinence de la desserte».

C’est à partir des décisions de crise pour sauvegarder la santé publique que s’ouvre le livre. Ainsi la notion d’urgence en démocratie entame la discussion. 

Si Dick Marty souligne la mise en péril des libertés, voire la tentation totalitaire, des politiques de la peur. Raphaël Mahaim en passe par la séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu alors qu’Antoine Chollet revient, lui, sur les raisons de l’état d’exception et fait appel à Rousseau pour redire qu’elles sont par définition temporellement limitées.

Et, précisément, le temps fait fil rouge dans la profusion de l’ouvrage. «Temps de confinement», «temps de crise», «temps de travail», «temps de détresse», «espace-temps», «temps de remettre au goût du jour», «temps perdu», «printemps 2020», «il est temps», ne serait-il pas «temps de se réjouir», de lire, de penser et d’agir?


Anne-Catherine Menétrey-Savary, Raphaël Mahaim, Luc Recordon et alii, Tumulte postcorona. Les crises, en sortir et bifurquer, Éditions d’en bas2020, 312 p.

Raphaël Arlettaz, Yvette Barbier, Samuel Bendahan, Jacques Besson, Dominique Bourg, Nathalie Chèvre, Antoine Chollet, Philippe Christe, Valérie D’Acremont, Gilles Dubochet, Jacques Dubochet, Sergio Ferrari, Augustin Fragnière, Blaise Genton, Christophe Gallaz, Jean-Pierre Ghelfifi, Sara Gnoni, Grève du Climat (Ella-Mona Chevalley, Gary Domeniconi, Teo Frei, Ley Klussyn, Mathilde Marendaz, Titouan Renard), Blaise Hofmann, Yvette Jaggi, Romaine Jean, René Longet, Yvan Luccarini, Pierre-Yves Maillard, Michaël Malquarti, Virginia Markus, Jean Martin, Laurence Martin, Dick Marty, Lisa Mazzone, Guillaume Morand, Solène Morvant-Roux, Isabelle Pannatier, Stéfanie Prezioso, Jean-Claude Rennwald, Silvia Ricci Lempen, Gilbert Rist, Philippe Roch, Johan Rochel, Jean-Christophe Schwaab, Coline de Senarclens, Sonia I. Seneviratne, Jean-Michel Servet, Barbara Steudler, Sophie Swaton, André Tiran, Fanny Vaucher, Antonin Wiser, Josef Zisyadis, Libero Zuppiroli.

Article Paru dans Domaine Public le 4 septembre 2020

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