La transition vers une économie inclusive, pour le bien-être de toutes et tous dans le respect des limites planétaires

Par économie j’entends ici son origine étymologique : du grec, oikos, maison et nomos, gérer : de la gestion de la maison, notre maison, la seule que nous ayons.

L’économie actuelle est mortifère, destructrice et extractrice et est source d’iniquités.

Elle est fondée sur des préceptes simplistes : l’équilibre entre l’offre et la demande, sans prendre en compte une quantité d’autres facteurs comme le fait que nous vivons dans un monde fini, que les ressources ne devraient pas être exploitables et commercialisables par celles et ceux qui en ont la concession, alors qu’elles sont des biens communs ou que les externalités engendrées par l’activité économique ne sont pas inclues dans le prix d’équilibre.

On nous a présenté le doux rêve que la main invisible régulait tout, que si une activité était non viable elle allait s’éteindre d’elle-même et que le marché était responsable de tous les progrès et acquis de nos jours, la réalité est hélas bien plus amère. Le marché actuel fonctionne de la manière suivante : si l’on pouvait évaluer la valeur la forêt Amazonienne par exemple et qu’on lui donnait un prix de 100 trillions de dollars, et si une activité commerciale nécéssitait de détruire l’ensemble de la forêt Amazonienne mais que cette activité rapporte 100 trillions et un dollar, il serait acceptable de le faire. Et c’est d’ailleurs ce qui ce fait. Voici toute l’absurdité de notre système « économique » actuel.

La crise sanitaire survenue en début d’année 2020 est une bonne radiographie de notre société et malheureusement elle nous montre toutes ses failles : un système de santé basé sur le profit, des inégalités sociales, des métiers non utiles très valorisés au contraire de professions indispensables très précaires. Par ailleurs, nous avons été témoins de l’importance des liens humains et sociaux, comme fondement de notre vie et que les achats essentiels étaient finalement peu nombreux. Nous avons également pu réaliser que la plupart des personnes contribuait à un travail qui n’avait pas beaucoup de sens, dans lequel ils ne se réalisaient pas mais que ce travail leur apportait un confort financier, qui leur assure de pouvoir dépenser de l’argent, souvent de manière irrationnelle, pour compenser ce manque de sens et ce mal-être emmagasiné au fil de leurs années de « carrière » professionnel.

Nous nous sommes collectivement trompés, nous en avons, pour un grand nombre profité, de ce système, mais le temps est désormais venu d’admettre qu’il n’est ni viable ni durable, qu’il nous mène droit vers l’effondrement de notre civilisation et qu’il nous faut changer de cap. Virer de bord, à 180°. Il nous reste une petite marge de manœuvre pour le faire et nous avons tout à y gagner. Délaisser le dogme de la croissance qui, dans un monde fini est une une chimère , aussi petite que soit cette croissance : une économie qui croît de 2% par an est une économie qui double tous les 35 ans. Ceci est juste intenable et celles et ceux qui soutiennent le contraire peuvent être assimilés à quelqu’un qui nierait la loi de la gravité.

Lorsque l’on propose des changements de paradigmes, celles et ceux qui s’y opposent brandissent l’épouvantail du retour à l’âge de pierre ou autres idées farfelues pour résister aux transformations. Pourtant il n’en est rien : il est parfaitement possible d’effectuer la transition d’une économie de la croissance à une économie de l’épanouissement.

Qu’entend-ton par s’épanouir ? Est-ce que les besoins humains sont comblés lorsque nous accumulons des biens ? Lorsque nous avons assez de chaises pour pouvoir nous asseoir, avons-nous besoin d’en acheter d’autres jusqu‘à remplir la pièce ? De même, une fois que nous avons des habits pour pouvoir nous changer plusieurs fois dans une semaine, avons-nous réellement besoin de posséder beaucoup plus ? Pourquoi avoir besoin de travailler de nombreuses heures pendant la semaine pour se reposer et consommer le week-end, pendant les vacances ou à la retraite ? Pourquoi prendre soin de ses enfants ou de ses proches ou participer à une activité sociale n’est-il pas valorisé ?

Les besoins peuvent être définis selon les besoins de Manfred Max-Neef, un économiste chilien (par opposition aux besoins selon la pyramide de Maslow, si chère aux cursus d’économie) qui différent par rapport aux besoins de l’économie classique par le fait que l’humain est remis au centre. Les humains tels que nous sommes et non pas tels qu’on nous a transformés, comme « homo economicus »

En partant de ce précepte, nous pouvons lister les besoins humains fondamenaux (ou de base) comme celui de l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’énergie, à un système de santé et à l’éducation, à la justice sociale et l’égalité des genres, à un logement et des réseaux, un revenu ainsi qu’une représentation politique et la paix et justice. Y avoir accès doit faire partie des droits fondamentaux de chaque terrien. Pourtant, il existe des contraintes qui sont inhérentes au fait de vivre dans un monde fini : les limites planétaires. Afin de maintenir le fragile équilibre qui permet la vie sur terre, il est indispensable que l’ensemble de notre développement se fasse en restant en dessous d’un certain niveau d’acidification des océans, d’un certain niveau de perte de biodiversité, de pollution chimique et des entités nouvelles (comme les nano particules), de changement climatique, de pollution atmosphérique, de prélèvements d’eau douce, de charges d’azote et phosphore, de reconversion des terres et d’appauvrissement de la couche d’ozone. Nous savons que en tout cas quatre de ces limites, la perte de biodiversité, le changement climatique, reconversion des terres et les réserves de phosphore et d’azote sont dépassées, d’autres sont déjà dans une position critique. L’équilibre qui permet notre survie même est menacé par le consumérisme à outrance, qui ne profite qu’à une poignée de personnes alors même que la faim sévit toujours, de même que le manque d’accès à l’eau potable, aux soins ou à l’éducation pour toutes et tous.

Le constat étant posé, nous pouvons maintenant créer un système de gestion de notre maison, différent, en tenant compte de ce palier, les besoins de tout terrien et du plafond, les limites planétaires et dans cet espace, nous avons tout loisir de nous épanouir, c’est ce qu’a illustré l’économiste Kate Raworth par son « Donut [1]».

Nous nous dirigeons donc vers une économie qui est circulaire et non plus en croissance exponentielle, qui intègre les différents flux et les différents acteurs et non pas uniquement un marché autonome, dont le but et d’être régénérative et redistributive et qui cultive la nature humaine et l’entraide.

En appliquant concrètement cette nouvelle économie à la Suisse, nous devons établir un état des lieux de quelles limites sont déjà dépassées et quels besoins ne sont pas encore remplis. Par exemple, notre contribution au changement climatique pro capita est très importante (près de 21t de CO2 par année et par habitant en tenant compte des émissions exportées et des investissements de notre place financière) alors que nous devrions rester en deçà de la tonne pour contenir le réchauffement à 1.5C° de température globale. La perte de biodiversité est également largement dépassée en Suisse, d’un facteur de 3.7, comme l’indique le rapport récent de l’EEA et l’OFEV[2]. En parallèle, certains besoins ne sont pas encore remplis, typiquement l’égalité des genres ou une représentation politique (qui reste encore réservée à une élite d’une classe socio-économique plutôt élevée) et bien que l’accès aux soins soit universel, les primes maladies représentent une partie significative des revenus et certains soins, comme les soins dentaires sont souvent négligés par manque de moyens financiers. 

Une fois ce bilan effectué, celui-ci doit nous servir de boussole pour toutes les décisions publiques et privées qui sont prises : pour assurer un logement à tout un chacun, on ne peut plus convertir la terre nourricière en terre bétonnée mais plutôt réaménager les logements existants et recréer des espaces végétalisés et d’agriculture urbaine qui feraient partie de biens communs et des droits fondamentaux de chaque citoyen. Pareillement afin de contenir notre empreinte carbone liées à la mobilité, il est indispensable de réduire drastiquement le nombre de véhicules individuels en circulation et de remplacer cet espace occupé par les routes par des espaces pour des échanges, pour des espaces de réparation, la réappropriation de l’espace public pour des assemblées citoyennes, pour une meilleure participation de tout un chacun à la vie politique.

Les exemples sont innombrables et tout est à inventer. Ce qui est certain c’est que ce changement est indispensable si nous voulons assurer la survie de notre espèce. Et ce changement irait vers plus de partage, plus de bien-être, moins de consumérisme et moins de destruction. Qui serait donc assez fou pour s’y opposer ? Nous avons une petite fenêtre d’opportunité pour changer de cap et c’est maintenant qu’il faut agir, demain il sera trop tard. Nous pouvons toutes et tous nous diriger vers une économie inclusive et régénérative qui utilise les limites de notre planète, la seule que nous ayons, comme boussole. En avant toute vers cette nouvelle gestion de notre maison !


[1] La Théorie du Donut, Kate Raworth, Plon


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