Comment avoir un impact positif à travers son travail ? Retour sur le parcours de Sara Gnoni

Des grands cabinets d’audit à l’entrepreneuriat, Sara Gnoni a un parcours atypique. Après 10 années passées dans deux cabinets différents des Big Four, elle a quitté un poste confortable pour fonder The Positive Project afin d’avoir un impact positif sur l’environnement et la société. Entre entrepreneuriat, engagement politique et militantisme, Sara Gnoni jongle aujourd’hui entre de nombreuses casquettes, toujours avec la volonté de donner du sens à ses activités professionnelles. Retour sur son parcours inspirant !

Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours professionnel et personnel ?

Je m’appelle Sara et j’ai eu 41 ans en mai. Je suis maman de deux enfants de six et bientôt huit ans. Même si je suis née à Lausanne, j’ai des origines italiennes et j’ai vécu plusieurs années à l’étranger : une année aux États-Unis, deux années à Singapour, ainsi qu’un petit séjour en Espagne. J’aime bien me confronter à d’autres cultures mais pour des périodes plus longues, pour pouvoir vraiment m’immerger. Je suis beaucoup dehors, j’aime faire du paddle et de la randonnée de montagne.

Au niveau professionnel, j’ai travaillé pendant 10 ans dans deux cabinets différents de Big Four. J’étais en quatrième année de Senior Manager. Puis un jour, je ne me suis plus sentie en accord avec ces valeurs, j’avais besoin de donner un sens à ce que je faisais au quotidien. J’ai donc pris la décision d’arrêter, et je me suis formée dans le conseil en environnement. Je me suis ensuite lancée dans l’entrepreneuriat, et j’ai fondé The Positive Project il y a à peu près quatre ans afin d’avoir un impact positif sur la société et l’environnement. Je suis aussi engagée dans des associations et dans le mouvement Extinction Rebellion, et je suis conseillère communale Verte à la Ville de Lausanne.

Institutions dans lesquelles Sara travaille avec du sens

Peux-tu nous parler de The Positive Project ? Quel impact positif souhaitais-tu avoir en créant cette société ?

Le principal objectif pour moi était d’apporter un changement en montrant un exemple positif. On entend beaucoup d’histoires tristes sur la situation du monde, et le but était de montrer qu’il y aussi beaucoup de manières d’avoir un impact positif, à tous les niveaux.

La raison d’être de The Positive Project est justement d’avoir un impact positif sur le monde et de le rendre plus résilient et vertueux. Nous travaillons pour que les organisations nous rejoignent dans cette vision. Cet objectif d’avoir un impact positif sur la société est d’ailleurs inscrit dans nos statuts, et nous œuvrons dans ce sens en mettant à disposition des entreprises du conseil en finance et en durabilité. On le fait aussi par le biais de la communauté B Corp. En tant qu’entreprise certifiée B Corp, nous avons un standard de qualité à respecter en ce qui concerne nos engagements et nos actions, et on essaie constamment d’aller au-delà.

Qu’est-ce que cela signifie pour toi d’avoir un impact positif sur la société à travers ton travail ? Pourquoi est-ce important à tes yeux ?

Nous passons en moyenne 80’000 heures de notre vie à travailler. Si elles sont investies à bon escient, ces heures peuvent constituer un excellent levier pour contribuer à créer un modèle de société plus durable et plus juste. Cela était donc très important pour moi d’utiliser ce temps ainsi que mon expérience pour avoir un impact positif. C’est pourquoi j’ai décidé de fonder The Positive Project afin d’être en accord avec mes valeurs au quotidien.

Caractéristiques pour donner du sens au travail

Une autre possibilité pour donner du sens à son travail est d’initier un changement à l’intérieur d’une entreprise existante. Je pense qu’il peut vraiment s’agir d’un levier de changement très puissant, car ces entreprises sont déjà bien établies et ont souvent un impact important. J’ai d’ailleurs essayé d’initier un tel changement dans le cabinet d’audit dans lequel je travaillais avant de fonder The Positive Project. Mais ce genre de processus peut parfois prendre du temps, et il faut également que le moment soit opportun, ce qui n’était pas le cas à l’époque. Néanmoins, je pense qu’aujourd’hui, avoir un impact positif devrait faire partie intégrante de la raison d’être de toute entreprise. C’est pourquoi je souhaite, par le biais de The Positive Project, raconter une autre histoire de ce que devrait être la raison d’être des entreprises, loin du seul objectif de maximisation des profits pour les actionnaires.

Qu’est-ce qui t’as poussé à quitter un poste confortable dans les Big Four pour te lancer dans l’entrepreneuriat ?

La dissonance entre mes valeurs et celles de cette grande société était devenue trop grande. Je travaillais avec des clients très intéressants et dans des conditions, en tous cas financières, qui étaient très confortables, mais on travaillait énormément, un peu dans cette logique de maximisation du potentiel humain. Puis, un jour, j’ai réalisé que je n’étais pas alignée avec ces valeurs, j’ai donc pris la décision d’arrêter.

sens au travail
Visuel de Myhappyjob.fr

As-tu toujours eu ce besoin de sens, cette envie d’avoir un impact positif au travers de ton travail, ou est-ce quelque chose qui est venu après un temps ?

Je pense que c’est quelque chose qui a toujours été présent, mais je ne l’ai réellement réalisé qu’en 2010. J’ai ensuite mis en pratique cette réalisation en suivant une formation en environnement.

Quels ont été pour toi les aspects les plus difficiles de ta transition vers une carrière à impact ? Qu’est-ce qui t’a aidé dans ce parcours ?

Je dirais que le plus difficile a été d’accepter de renoncer à un salaire très confortable, et même luxueux avec le recul, et donc de consommer moins par conséquent. Quand j’ai réalisé que je n’étais plus en accord avec les valeurs de l’entreprise pour laquelle je travaillais, j’étais un peu coincée dans une prison dorée. Je me demandais comment j’allais me passer de ce salaire et de ces conditions. Ce qui m’a vraiment aidée a été d’avoir confiance en le fait que mon choix était juste, et que le travail serait là, en suffisance pour me permettre de vivre et de faire vivre des employés. Je me suis également rendue compte que je pouvais vivre de manière confortable avec beaucoup moins. On a souvent l’impression qu’on a besoin de plein de choses qui sont en fait des désirs et non pas des besoins. Cela m’a également permis d’être plus en accord avec mes valeurs et de pouvoir être libre au quotidien de garder cette posture militante en tout temps.

Il y a-t-il eu des personnes importantes pour toi, que ce soit des gens que tu connaisses personnellement ou non, qui t’ont accompagnée dans ce changement ou qui t’ont inspirée à apporter du sens à ta carrière ?

Jérémy Désir est une grande source d’inspiration, bien qu’il ait fait sa transition professionnelle après moi. Ancien analyste quantitatif pour la banque HSBC, il a annoncé sa démission en 2019 dans une lettre ouverte suite à une prise de conscience de l’impact environnemental désastreux du monde de la finance et de son rôle dans l’écocide en cours. Aujourd’hui, il se consacre à l’accompagnement de salariés en quête de sens au sein de l’association Vous n’êtes pas seuls qu’il a créée avec sa compagne, comme il le mentionne dans cet article pour le média Bon Pote. Thomas Wagner est d’ailleurs une personne à suivre absolument.

J’ai aussi une profonde admiration pour des scientifiques qui prennent clairement position sur l’urgence d’agir comme Jacques Dubochet, Julia Steinerberger ou le philosophe Dominique Bourg.

Aujourd’hui, huit ans après avoir effectué ce virage à 360°, que dirais-tu que ce changement t’a apporté ? Il y a-t-il des choses que tu regrettes ?

Je n’ai aucun regret, je suis vraiment heureuse d’avoir franchi ce cap il y a huit ans. L’entrepreneuriat était vraiment la solution pour faire ce qui me plaisait. Cela m’a apporté la liberté de défendre mes idées sans avoir à rendre de comptes à un employeur. Le seul petit bémol que je mentionnerais est que je vois que les organisations peinent encore à prendre conscience de l’urgence de l’action, et qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire.

Quel serait ton conseil pour des gens qui hésitent à se lancer dans une carrière à impact ?

Écoutez-vous, faites-vous confiance, et essayez de sentir avec vos tripes ce qui vous paraît être juste pour vous. Si vous sentez qu’il n’y a pas d’alignement entre vos valeurs et ce que vous faites au quotidien, alors vous pouvez décider de ne plus le faire et de vous lancer dans quelque chose d’autre qui aura du sens pour vous. Nous passons beaucoup trop de temps au travail pour pouvoir perdre ce temps et cette énergie dans des activités qui ne nous correspondent pas et ne vont pas dans le sens du futur que nous souhaitons voir émerger. De plus, comme l’explique le secrétaire général de l’ONU António Guterres dans The Guardian, nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à travailler pour des entreprises qui détruisent l’environnement. Il est temps d’utiliser nos talents au service de la transition vers un monde plus durable et socialement juste.

As-tu quelques ressources (livres, vidéos etc.) qui t’ont aidée dans ce parcours et qui peuvent accompagner des gens qui se lancent actuellement dans une carrière à impact ?

Je lis beaucoup, il y a donc de nombreux livres qui m’ont aidée et que je conseillerais à toutes celles et ceux qui sont à la recherche de sens dans leur travail. Personnellement, le livre The Responsible Company par Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia, a été une source d’inspiration importante pour moi. Je m’en suis énormément inspirée pour la création de The Positive Project. Il y a également le livre Tu fais quoi dans la vie ? par Joséphine Bouchez et Matthieu Dardaillon, fondateurs de Ticket For Change, qui est très bien. C’est un manifeste de 70 pages, qui se lit très vite, et qui partage des pistes concrètes pour se lancer dans une carrière à impact.  

tu fais quoi dans la vie

Il y a bien sûr également tous les livres qui m’ont aidée dans la prise de conscience de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons. La Terre inhabitable de David Wallace-Wells, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité d’Aurélien Barrau, ou encore le talk d’Extinction Rebellion. Ce ne sont pas des ressources spécifiquement sur le thème des carrières à impact, mais elles nous poussent à nous poser des questions sur le sens de ce que nous faisons, dans un monde qui se meurt. Cela remet beaucoup de choses en perspectives, et nous pousse à nous demander pourquoi nous nous levons tous les matins.

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