OPINION. La conseillère communale verte et militante Sara Gnoni interpelle le procureur général vaudois Eric Cottier, lequel a obtenu, en appel, la condamnation des activistes qui avaient tenu une partie de tennis dans les locaux de Credit Suisse.
Ainsi donc, le procureur général, représentant de l’Etat – Etat dont le rôle est d’œuvrer pour le bien-être des citoyen-ne-s –, a fait recours contre la décision du juge Philippe Colelough d’acquitter les douze activistes qui avaient tenu une partie de tennis dans les locaux de Credit Suisse en novembre 2018. Contrairement à la banque «lésée», vous avez pris le parti de vous opposer à cette décision de justice historique du 13 janvier 2020. En deuxième instance, les prévenus ont été condamnés et, à la sortie de la lecture du jugement, je vous interpellai: «Et notre droit à la vie alors?» «Ce n’est pas l’objet de ce jugement, Madame», m’avez-vous répondu. En fait, si !
Etat de nécessité
Monsieur le procureur, avec tout le respect que je vous dois, vous n’avez donc pas dû bien entendre les arguments du juge Colelough en janvier. Ce dernier a reconnu l’état de nécessité pour acquitter les activistes, disposition du Code pénal qui justifie une action illégale sous certaines conditions: imminence du danger (le changement climatique a déjà des conséquences indicibles sur des millions de personnes), il n’y avait pas d’autres moyens d’action possible (obtenir un tel retentissement médiatique avec #rogerwakeupnow) et que l’acte incriminé soit nécessaire et proportionné (occuper des locaux de Credit Suisse versus la survie de l’humanité).
Nous sommes désespérés face à cette inaction qui mène à notre perte
Les faits apportés par les experts présents comme témoins vous ont laissé insensible; des faits pourtant unanimes, implacables et indiscutables. Notamment, Madame Seneviratne, climatologue et membre du GIEC, a attesté que chaque demi-degré engendre des conséquences majeures pour la planète mais que la Suisse ne respecte pas ses engagements pris dans le cadre des Accords de Paris et que notre pays connaît d’ores et déjà un réchauffement de 2°C. Au rythme actuel et avec les investissements de la place financière suisse, notamment ceux de Credit Suisse, nous allons vers une trajectoire de 4 à 6 °C, qui rendrait notre planète tout bonnement inhabitable pour notre espèce. Monsieur Cottier, nous sommes en train de causer notre propre extinction.
Plus d’autres moyens
La désobéissance civile représente l’échec de tous les autres moyens à disposition: toutes les pétitions, initiatives populaires, tentatives de changements de législation ont échoué, y compris la nouvelle loi CO2 totalement insuffisante selon les experts, nous nous mettons malgré nous en situation d’illégalité pour faire entendre notre voix. Ce moyen d’action est également soutenu par des scientifiques.
Vous avez demandé aux activistes de «mettre leur énergie à défendre leur cause conformément au droit». Pensez-vous réellement que cela nous amuse d’enfreindre la loi, de passer du temps en cellule et d’avoir un casier judiciaire? Pensez-vous seulement que nous n’ayons pas tenté tous les autres moyens conformes au droit en vigueur et tous les moyens politiques existants? Selon le juge Colelough encore, «le temps politique, lent par sa nature démocratique, n’est plus compatible avec l’urgence climatique avérée». C’est dire si l’imminence du danger est réelle et qu’il n’y a plus aujourd’hui d’autres moyens d’alerter l’opinion publique et les politiques qu’en faisant ce type d’actions.
Nous sommes désespérés face à cette inaction qui mène à notre perte. Et au lieu de nous écouter, en faisant recours et en obtenant une condamnation, vous préparez le terreau pour que ce désespoir mène à des actions de plus en plus radicales. De quoi avez-vous peur en laissant ce jugement faire jurisprudence? Que des actions qui sont à la hauteur de l’enjeu soient enfin prises? Vos enfants, demain, vous regarderont avec incompréhension, nous vous regardons aujourd’hui avec une confiance ébranlée dans la justice à défendre notre droit inaliénable à la vie qui, je vous le rappelle, est ancré dans l’article 10 de notre Constitution.
Cet article a été publié dans le journal Le Temps.