OPINION. Alors que l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) considère l’introduction d’obligations de transparence relatives aux risques liés aux changements climatiques pour quelques institutions bancaires uniquement, le débat autour de la finance durable devrait être porté beaucoup plus loin.
En novembre 2020, la FINMA a ouvert une audition publique à propos de nouvelles obligations de transparence face aux risques climatiques pour les plus grands établissements financiers, parmi lesquels on peut retrouver les grands assureurs et les banques d’importance systémique (too big to fail). Avec cette réglementation, la FINMA accueillerait, de manière partielle uniquement, les indications de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (« TCFD »), le groupe de travail mandaté par le Conseil de stabilité financière du G20, pour ce qui concerne les risques liés au changement climatique.
Depuis, ces lignes directrices ont été adoptées par plus de 1500 organisations. Ce nombre comprend près de 60% des 100 plus grandes entreprises cotées du monde et 42% des entreprises dont la capitalisation boursière est supérieure à 10 milliards de dollars américains. Ces recommandations sont soutenues et intégrées de façon similaire par les gouvernements et régulateurs dans le monde entier (par ex. le Canada, Singapour, l’Afrique du Sud et certains États membres de l’Union Européenne).
De plus, en 2019, l’Union Européenne a publié les lignes directrices sur les informations relatives au climat en tenant compte des indications de la TCFD. Elles s’ajoutent à la directive sur la publication d’informations non financières (Non-Financial Reporting Directive, NFRD) de 2014 qui prend en compte la protection de l’environnement, la responsabilité sociale, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption et la diversité. Ces lignes directrices font partie du Plan d’Action Européen pour le financement d’une croissance durable, qui a pour but de créer un cadre de référence pour la finance durable.
En Suisse, en décembre 2020, le Conseil fédéral a présenté et adopté de nouvelles mesures, dans le but d’améliorer la position et la compétitivité de la Suisse comme acteur majeur de la finance durable. Ces mesures passent notamment par une modification des conditions-cadres concernant la transparence, l’analyse des risques et le développement de l’engagement suisse sur le plan international. Ces conditions-cadres s’alignent avec les recommandations de la TCFD et concernent également une potentielle modification de la législation des marchés financiers, avec pour but de limiter et prévenir le greenwashing.
Opportunité suisse en finance durable ?
Le Conseil fédéral considère donc la finance durable comme une « grande opportunité » pour la place financière suisse et veut faire de la Suisse « l’un des principaux centres mondiaux de services financiers durables ». Louable ambition ! Cependant, les obligations de transparence de la FINMA relatives aux changements climatiques ne sont pas à la hauteur de cette ambition car celles-ci ne concerneraient qu’un un total de 9 organisations, soit les banques d’importance systémique et les grandes entreprises d’assurance. Or, 6 d’entre-elles disent déjà appliquer ces normes de façon volontaire.
Gardons aussi à l’esprit qu’il est plus que jamais nécessaire de rattraper le retard pris sur les accords de Paris, que nous ne respectons pas encore, malgré nos engagements. Un pays comme la Suisse, avec ses ressources financières et en capital humain doit s’engager dans la lutte contre le changement climatique, au-delà des règles internationales. Et le rôle de la place financière Suisse dans le réchauffement climatique est significatif, celle-ci continuant d’investir et financer lourdement les énergies fossiles, avec comme conséquence un réchauffement de 4-6C° d’ici la fin du siècle.
Les prochains pas vers la finance durable
Rappelons que lors du vote concernant l’initiative populaire pour des multinationales responsables en novembre dernier, la majorité des votants a exprimé son accord pour une responsabilité civile des entreprises en cas de violation des droits humains ou de l’environnement. Bien que rejetée faute de double majorité, le vote populaire a envoyé un signal clair quant à l’attente de règles précises, et même contraignantes, pour garantir une transition vers une économie durable qui se veut responsable et inclusive.
Hélas, le respect des droits de l’homme dans le secteur financier n’est malheureusement pas encore une réalité, et la crise sanitaire que nous traversons n’a fait qu’accroître les inégalités. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (Guiding Principles for Business and Human Rights, UNGP) adoptés par les Nations Unies en 2011 ont aussi attiré l’attention du secteur financier, conscient d’en subir les conséquences au niveau des risques et, en même temps, de pouvoir jouer un rôle clé à ce sujet.
De par son poids économique, son rayonnement international et sa stabilité politique, la Suisse a le devoir moral de saisir cette opportunité et montrer l’exemple en matière de règlementations environnementales et sociales. Il est inconcevable de nous positionner en tant qu’acteur majeur dans les services financiers durables et socialement responsables sans nous doter d’une législation cohérente et ambitieuse, qui donne à l’ensemble du secteur une réelle impulsion dans cette direction. Ainsi, les règlementations proposées par la FINMA, bien qu’elles aillent dans le bon sens, demeurent un pas bien trop timide, à l’heure où des changements radicaux sont nécessaires pour répondre à l’urgence climatique et au respect des droits humains. Si la Suisse souhaite se positionner comme la plaque tournante de la finance durable, un devoir d’exemplarité s’impose et requiert donc bien davantage qu’une circulaire qui n’impacte qu’une poignée d’institutions financières. La réglementation devrait couvrir un plus grand nombre d’organisations, en insistant sur le fait que de nombreux bénéfices découleraient de cette transparence accrue comme une résilience accrue pour les entreprises concernées, une plus grande crédibilité de la part des clients et des parties prenantes et un meilleur attrait en tant qu’employeur.
Cet engagement ne concerne d’ailleurs pas que les grands établissements financiers : c’est un effort collectif qui implique l’ensemble de l’économie et doit mener vers un monde plus juste, résilient et équitable. Soutenons donc les efforts législatifs qui visent à améliorer la compétitivité de la place financière suisse et son rôle d’exemplarité dans la finance durable, mais exigeons qu’ils aillent plus loin ! Nous avons tous à y gagner, à commencer par nos enfants.
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