Why We Care : un podcast qui explore notre connexion avec le monde naturel. Entretien avec Tiphaine Marie Pittet.

Dans cet article, nous explorons nos liens avec la nature et la biodiversité. Plusieurs études relèvent le même phénomène : depuis plus de quarante ans la nature disparaît de plus en plus de notre quotidien (Prévot-Julliard et al., 2014 ; Kesebir S. & Kesebir P., 2017). L’exode rural a poussé une part importante de la population dans les villes, où l’industrialisation a remplacé la nature sauvage par des bâtiment, des trottoirs bétonnés et des routes bouchonnées.

En résulte une représentation de la nature bien éloignée de la réalité : des parcs publics où s’étend de la pelouse verte bien entretenue, des petites fontaines où l’on n’observe peu voire pas de biodiversité marine, et quelques arbres qui émergent dans des zones cimentées. Les films et publicités n’aident pas à corriger cette représentation erronée ; la nature et la biodiversité disparaissent de nos écrans peu à peu, contribuant ainsi à une extinction de l’expérience de la nature dès l’enfance[1].

Ce phénomène a des conséquences décrites comme une « amnésie environnementale générationnelle » (Pyle R.M., 2003) : moins la nature est présente dans notre quotidien, plus elle va disparaître de notre imaginaire, et par conséquent moins nous ressentirons un besoin de la protéger.

Dans une volonté de restaurer notre connexion avec le monde naturel, la suissesse Tiphaine Marie Pittet a fondé le podcast Why We Care. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec elle depuis sa maison de Londres où elle est basée.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Tiphaine, je suis née et j’ai grandi dans la région de Lausanne. Après avoir étudié à l’ECAL et obtenu mon bachelor en lettres à l’Université de Lausanne j’ai décidé de partir à Londres pour effectuer un master dans le domaine de la mode durable. J’étais très intéressée par la mode et très consciente des impacts négatifs de cette industrie, je cherchais donc à faire bouger les choses dans ce domaine. J’ai lancé ma marque de sacs à mains et travaillé pour plusieurs entreprises de mode responsable dans les départements de durabilité avant de me tourner vers les ONG. Je travaille désormais en freelance pour différentes organisations, je m’occupe de leur communication et de leur stratégie tout en gardant un focus sur la biodiversité et sur l’environnement.

Comment est né ton podcast Why We Care ?

L’idée est partie d’une réalisation : on parle beaucoup de climat et de CO2 mais très peu du sujet de la biodiversité. Elle est toute autant importante et malgré ça elle est beaucoup moins médiatisée. Je voulais contribuer à ce qu’on parle davantage de biodiversité et également apprendre comment la protéger. En partant de là j’ai finalement élargi mon sujet pour trouver la raison d’être de Why We Care : explorer nos relations avec le monde naturel.

Le format du podcast s’est très vite imposé à moi : après un premier épisode « test » avec une amie j’ai réalisé que le podcast possédait le grand avantage de me permettre d’avoir des conversations plus longues et d’explorer des sujets en profondeur.  Dans mon métier je travaille beaucoup avec les réseaux sociaux qui proposent un outil de partage d’information à la fois formidable et limité : tout est instantané et quand on est en ligne, on a tendance à avoir un très court degré d’attention. Le message doit donc être toujours plus bref, alors que le podcast permet justement de prendre son temps.

Peux-tu me parler de l’organisation derrière la réalisation de tes épisodes ?

Lorsque j’ai commencé le projet j’ai d’abord dressé une liste des personnes que je connaissais et qui pouvaient être intéressantes pour réaliser un épisode. Travaillant dans le milieu de la durabilité depuis plusieurs années, j’avais la chance de connaître beaucoup de personnes de ce domaine.

Ensuite j’ai réalisé une wish list où je me suis demandé quelles personnes pourraient être intéressantes pour tourner un épisode. Finalement, j’ai également fait une mindmap entre la saison 1 et la saison 2 avec une liste de sujets que je n’avais pas encore abordés et qui me paraissaient pertinents. J’ai ensuite cherché pour chaque sujet des expert·e·s du domaine à contacter.

La réalisation d’un épisode comprend beaucoup de petites étapes : définir le sujet, trouver un·e intervenant·e, faire des recherches, rédiger les questions, faire l’entretien, monter l’épisode. Quand tout est prêt je publie l’épisode sur les plateformes de streaming et je fais ma promotion sur Instagram et LinkedIn. C’est très difficile d’estimer combien de temps je prends pour un épisode car j’effectue ce travail en parallèle à mon emploi, c’est donc plein de petits moments par ci par là consacrés au podcast. J’ai de la chance car mon emploi m’accorde une grande flexibilité qui me permet de bien jongler les deux. Auparavant je travaillais à plein temps et c’était plus compliqué de tout gérer, mais je n’ai jamais perçu Why We Care comme une corvée car c’est véritablement une passion pour moi de travailler sur ce projet.

Est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont particulièrement soutenues dans ta démarche ?

Effectivement j’ai la chance d’être très bien entourée, j’ai des ami·e·s formidables qui m’ont véritablement soutenu et encouragé à me lancer quand je parlais de mon projet. C’étaient aussi les premières personnes à me donner du feedback et à me faire des suggestions d’amélioration constructives qui m’ont été très utiles. Mon partenaire a également joué un rôle décisif car c’est lui qui m’a donné l’impulsion de me lancer, il m’a beaucoup soutenu par la suite dans le développement du projet.

De tous les sujets que tu as couverts, est-ce qu’il y en a un en particulier qui t’a marqué ?

On me demande souvent quel est mon épisode préféré, mais c’est comme devoir dire quel est son enfant préféré, c’est impossible ! C’est ça qui est merveilleux avec la biodiversité, cela comprend de nombreux aspects qui sont tous importants. Toutes les thématiques abordées sont intéressantes à mes yeux.

Actuellement si je devais recommander un épisode ce serait celui que j’ai réalisé sur le sujet du deep sea mining – l’exploitation minière des fonds marins profonds. C’est un sujet que je trouve particulièrement bouleversant car les océans représentent une partie du monde encore très méconnue. J’ai eu la chance de pouvoir accueillir Anne-Sophie Roux qui est une scientifique et activiste française qui s’est mobilisée pour préserver ces profondeurs marine. Les activistes ont monté une véritable campagne pour lutter contre l’exploitation des fonds marins profonds, ce qui a déjà résulté en de nombreuses victoires. Être témoin de ces victoires et voir les individus qui se battent encore pour cette cause montre que l’activisme fonctionne, et c’est un épisode qui me plaît car il donne véritablement de l’espoir. 

Quelle est ta vision pour la suite de Why We Care ? Et pour toi personnellement ?

Grande question ! Pour le podcast la saison 2 est actuellement en train de sortir, un épisode est publié un mercredi sur deux. La mission reste d’explorer les différents aspects de notre connexion avec la nature, mais j’ai également décidé d’explorer les dimensions de bien-être et de santé mentale en lien avec la nature. Certaines études ont montré que l’on avait besoin de contact avec la nature pour notre bien-être, et j’ai envie de participer à restaurer ce lien qui est important autant pour nous que pour la planète.

Dans cette vision j’ai pas mal d’idées de projets que j’aimerais tester. Au-delà du podcast je réfléchis à différentes manières d’encourager les individus à restaurer cette connexion avec l’environnement au travers d’évènements ou d’expériences. J’aime aussi l’intégration d’une forme de méditation pour apporter de la sérénité et du bien-être aux personnes qui écoutent le podcast.

Quels seraient tes conseils pour les personnes qui ont envie de se lancer dans un projet qui leur tient à cœur ?

L’aspect « passion » est le plus important : trouve ce qui te fait vibrer et c’est ça qui va te pousser en avant dans les moments où tu seras tenté·e de baisser les bras. C’est très important de comprendre pourquoi tu fais ce que tu fais.

Une de mes amies qui a vécu une situation similaire m’a également donné un très bon conseil : « just do it ». On ne peut pas tout prévoir, au bout d’un moment il faut oser se lancer et accepter que même si tout n’est pas parfait c’est ainsi que l’on apprend et on va continuer à s’améliorer.

Retrouvez l’intégralité du podcast Why We Care sur Spotify, Apple podcast, Acast ou encore Deezer. Vous pouvez également suivre Tiphaine Marie Pittet sur LinkedIn. Le podcast possède également son propre site internet.

Si vous désirez voir davantage d’entretiens, retrouver nos articles sur l’Association Mellifera et la Fabrique Farfalla.

Références 

“Disney : Vers La Fin Des Forêts Verdoyantes et Des Oiseaux Qui Chantent ?” La Fabrique Des Récits, 10 Mar. 2022, fabriquedesrecits.com/boite-a-outils/disney-vers-la-fin-des-forets-verdoyantes/

Kesebir, S., & Kesebir, P. (2017). A Growing Disconnection From Nature Is Evident in Cultural Products. Perspectives on Psychological Science, 12(2), 258-269. https://doi.org/10.1177/1745691616662473

Prévot-Julliard, A.-C., Julliard, R., & Clayton, S. (2015). Historical evidence for nature disconnection in a 70-year time series of Disney animated films. Public Understanding of Science, 24(6), 672-680. https://doi.org/10.1177/0963662513519042

Pyle RM. Nature matrix: reconnecting people and nature. Oryx. 2003;37(2):206-214. doi:10.1017/S0030605303000383

Schepman, Thibaut. “Dans Les Disney Comme Dans Notre Imaginaire, La Nature Disparaît.” L’Obs, 28 May 2014, www.nouvelobs.com/rue89/rue89-planete/20140528.RUE4120/dans-les-disney-comme-dans-notre-imaginaire-la-nature-disparait.html


[1] Entretien avec Anne-Caroline Prévot-Julliard, chercheuse au Musée national d’histoire naturel. https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-planete/20140528.RUE4120/dans-les-disney-comme-dans-notre-imaginaire-la-nature-disparait.html

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