Léman, Farinet, 20 Val ou encore Épi : depuis quelques années, de nombreuses monnaies locales, dont les billets colorés ne sont pas sans rappeler des billets de monopoly, ont vu le jour en Suisse romande. Mais en quoi consistent exactement ces monnaies ? A quoi servent-elles ? Quel rôle peuvent-elles jouer dans la transition vers une économie plus locale et durable ? Zoom sur ces outils financiers qui contribuent à la construction de territoires plus résilients.
Qu’est-ce qu’une monnaie locale et comment ça fonctionne ?
Actuellement en plein essor à la suite des crises économiques et de la prise de conscience des enjeux environnementaux et sociaux, les monnaies locales sont des systèmes de paiement complémentaires à la devise nationale. Créés par les citoyens et à parité avec la monnaie nationale, on peut les utiliser uniquement dans une région géographique restreinte. Ce phénomène favorise ainsi les échanges entre commerçants locaux.
Le principe est simple : les particuliers qui souhaitent soutenir l’économie locale échangent des unités de la devise nationale en unités de monnaie locale en se rendant dans un bureau de change ou via une plateforme en ligne. Une fois en possession de ces billets de monnaies complémentaires, ils se rendent chez un commerçant local partenaire du réseau afin de les dépenser. Le commerçant peut ensuite utiliser cette monnaie pour s’approvisionner auprès de fournisseurs locaux, ou encore payer une partie des salaires de ses employés en monnaie locale. Ceux-ci les réinjecteront ensuite dans le réseau en faisant leurs courses auprès d’une épicerie partenaire.
En circulant ainsi au sein d’un réseau de commerçants et d’artisans locaux, les monnaies locales complémentaires permettent de favoriser le commerce de proximité et limitent la fuite de capitaux sur les marchés financiers. On peut également les considérer comme solutions de relance d’une économie à l’échelle locale à la suite d’une crise. La mesure des bons d’achat solidaires de la Ville de Genève lancée en décembre 2020 suite à la crise sanitaire illustre bien le potentiel de relance économique des monnaies locales complémentaires. En effet, ces bons solidaires ont permis d’injecter 24 millions de francs auprès des 593 enseignes participant à l’opération afin de relancer l’économie locale en cette période difficile tout en faisant la promotion du Léman. Mais pour perdurer, ces moyens de paiement complémentaires doivent bénéficier d’un large réseau de commerçants partenaires ainsi que d’une reconnaissance institutionnelle afin de ne pas être limitants.
Le Léman : monnaie locale de l’arc lémanique
Mise en circulation en 2015 dans le bassin lémanique, le Léman est une monnaie complémentaire et transfrontalière comptant actuellement 450 entreprises membres, 1600 adhérents et 450’000 Lémans en circulation. Afin d’instaurer un système d’échange durable, cette devise va plus loin que le principe de coupures physiques en mettant à disposition de ses utilisateurs une application sur smartphone permettant de payer en Lémans électroniques.
Unique en Suisse, ce système permet de fluidifier les transactions entre commerçants et les incite à se fournir chez d’autres partenaires du réseau afin de dynamiser le tissu économique local. « Les commerces qui sont membres de Monnaie Léman ont ce qu’on appelle le Lémanex, qui est un système de crédit à taux zéro et sans remboursement. Et donc chaque commerçant est relié à l’autre via ce système et ils peuvent ainsi échanger des produits pour produire leurs biens ou leurs services sans avoir besoin d’avancer de cash ou de faire de crédits », explique Constance André-Aigret, coprésidente de l’Association Monnaie Léman.
Pour elle, la Monnaie Léman contribue à favoriser le développement d’une économie plus locale et durable en soutenant les commerces qui partagent ces valeurs. « Pour être membre de la monnaie locale, les commerces doivent signer une charte indiquant qu’ils sont en accord avec les valeurs de l’écologie, la solidarité, le bien-être social, le bien-être au travail et des conditions de travail décentes. Le commerce s’engage aussi à être dans une démarche continue d’amélioration de ses pratiques en termes de durabilités et de conditions sociales », note Constance André-Aigret. Faire ses achats dans les commerces partenaires en utilisant des Lémans est donc un excellent moyen de soutenir ces commerçants qui œuvrent pour une économie locale, durable et solidaire.
Les monnaies locales comme outil de transition
Mais dans quelle mesure les monnaies locales et complémentaires permettent-elles d’entamer une transition vers une économie plus durable et solidaire ? Pour Constance André-Aigret, ce sont des outils permettant d’initier un premier pas vers une transition plus globale. « Je pense que la monnaie locale peut vraiment être vue comme un outil permettant de favoriser la transition. Pour un commerce, c’est un premier pas pour afficher ses valeurs et se questionner sur d’autres mesures qu’il peut entreprendre pour aller plus loin dans sa transition », explique-t-elle.
En effet, les monnaies locales constituent un véritable levier transversal de transition à travers cinq grands domaines : le pouvoir citoyen, la solidarité, l’écologie, l’économie et les dynamiques territoriales. C’est ce qu’a mis en lumière une étude sur l’utilité sociale des monnaies locales complémentaires réalisée entre 2019 et 2021 par le Mouvement Sol en France. Selon cette étude, les monnaies locales contribuent à sensibiliser les citoyens aux questions environnementales puisque 69% des adhérents comprennent mieux les liens entre l’économie et les enjeux écologiques, sociaux et démocratiques. De plus, la solidarité au sein du réseau est renforcée car 80% des professionnels affirment avoir déjà recommandé un confrère acceptant la monnaie locale. Finalement, l’utilité écologique des monnaies complémentaires est également indéniable puisque 84% des commerçants ont adapté leurs méthodes de travail pour réduire leur impact environnemental et 48% des utilisateurs ont augmenté leur consommation de produits locaux.
Pluralité monétaire : Favoriser les écosystèmes pour plus de résilience
Dans le film Demain réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, l’économiste Bernard Lietaer, spécialiste des questions monétaires internationales et défenseur éminent des monnaies complémentaires, compare le système monétaire à la nature. Cette dernière ne permet pas de monocultures. Au contraire, elle multiplie les variétés de plantes et d’espèces afin de créer une abondance d’écosystèmes prospères et interconnectés. Selon lui, les monocultures monétaires telles que la zone Euro sont certes plus efficientes mais pas suffisamment résilientes face aux crises économiques, sociales et environnementales que nous affrontons de plus en plus fréquemment. Tout comme la nature, un écosystème composé de monnaies nationales et d’une multitude de monnaies locales et complémentaires permet d’être plus résilient, de surmonter les crises et d’entamer une transition vers une économie durable et solidaire.
Pour Constance André-Aigret, la pluralité monétaire et plus généralement la pluralité des échanges est nécessaire à la transition vers une économie durable et solidaire. Interrogée sur le système monétaire dans un futur souhaitable, elle répond en souriant que «plus qu’un système monétaire, on aurait un système d’échanges, et d’échanges au pluriel. Idéalement je pense qu’il faut qu’on ait plusieurs manières d’échanger donc avec plusieurs monnaies, mais aussi des systèmes d’échanges comme le troc ou une heure contre une heure. La confiance serait également renforcée et matérialisée non plus par le billet mais par l’échange pur ».
Chez The Positive Project, nous avons expérimenté ces différents types d’échanges. Troc, monnaies complémentaires, échanges de savoir, de locaux, etc. Pour une société plus résiliente, faites comme les écosystèmes naturels : cultivez l’entraide et les échanges, tout le monde sera gagnant !